Optimiste né
Ah, ce message radiophonique incitant les personnes à donner leur sang.. qui se lancent dans un lyrisme délirant :
"Nous sommes les changeurs d'histoire, les joueurs collectifs, les optimistes nés, nous sommes les donneurs de sang"
Oui, donner son sang, ok, c'est vertueux, solidaire, joueurs collectifs si vous tenez aux métaphores sportives, ok, que ça change des "histoires" individuelles, bon, ça passe encore, en essayant de ne pas entendre un "Changer l'Histoire" qui me paraîtrait tout de même d'une crétinerie absolue, mais alors...
"OPTIMISTES NÉS"
Mais quoi, on doit pouvoir donner sans être le moins du monde "optimiste", non ? Et ça veut dire quoi être "optimiste de naissance", sinon s'être soigneusement tenu à l'écart des archives du malheur, et/ou avoir développé cette merveilleuse capacité à "ne pas être affecté" par les malheurs du monde ?
Qu'est-ce que ça peut me lourder cette injonction à l'optimisme, qu'est-ce que ça peut être niais...
Derrière cet élan lyrique, il y a cette confusion entre l'agentivité et l'optimisme, comme si, pour pouvoir agir, "changer" quelque chose comme ils disent, il fallait être doté d'une disposition d'esprit spéciale (dont on suppose qu'elle manque aux pessimistes, comme s'ils souffraient d'une pathologie particulière), et ce dès la naissance, comme un truc génétique, dont on hérite ou pas.
Ça ne leur est jamais venu à l'esprit, à ces disciples de l'optimisme, qu'il y a quand même un certain nombre de gens sur cette planète (et probablement une large majorité) qui n'ont guère de raison de se montrer optimistes ? Ils ont au contraire toutes les raisons, ce qui les rend extrêmement rationnels soit-dit en passant, de désespérer de l'avenir, du leur et de celui de beaucoup d'autres.
L'optimisme ne tient que dans la mesure où l'on occulte une part immense de la réalité. Parfois même la sienne propre d'ailleurs. Et confondre l'agentivité, la capacité d'action, pourquoi pas révolutionnaire, avec l'optimisme, c'est avoir une lecture bien lunaire de l'histoire. La colère, la rage, le désespoir, sont tout aussi bien des moteurs de l'action que l'optimisme stupidement circonscrit à son bien-être personnel ou à celui d'une poignée de péquins qui se fabriquent une petite utopie à l'écart de la cité.
Cette injonction à l'optimisme n'a évidemment rien d'innocent : elle est même parfaitement conforme à la propagande du pouvoir (contrairement à ce qu'on croit pouvoir tirer de Spinoza et ses "passions tristes", et de Deleuze commentant Spinoza, non, le pouvoir ne nous veut pas malheureux, il nous enjoint au contraire d'être heureux - à sa manière certes. Le pouvoir sait très bien qu'à trop tirer sur la corde, le malheur peut entraîner une sédition massive. Il veut que nous allions nous abîmer au turbin plein d'entrain, que nous suivions les avenues du bonheur qu'il a tracées pour ses administrés - le travail, la famille, la patrie, l'église et toutes ces conneries censées rendre les gens heureux, et, de facto, ça marche)
https://www.packshotmag.com/films/efs-nous-sommes-les-donneurs-de-sang/
(NB : je m'en fous de la pub pour le don du sang hein. J'ai donné mon sang naguère. Ça n'a jamais fait de moi un optimiste. Je ne l'étais pas avant, ni après. Elle ne fait que relayer cette antienne de l'optimisme né, cette berceuse niaise qui se répand aussi vite que le climat se détériore, que les guerres massacrent ou que les fascismes triomphent)
Optimisme niais plutôt, dirais-je.
